JDC 2022: «On n’est pas en mode crise, mais on se prépare»

Rendez-vous annuel romand des acteurs de la branche électrique, les Journées des directeurs/trices et cadres (JDC) 2022 ont eu lieu les 29 et 30 septembre derniers à Montreux. Si le spectre d’une pénurie d’électricité s’est invité tout au long de l’événement, les différentes interventions ont permis de mieux comprendre le contexte géopolitique, le niveau de préparation à une éventuelle situation de crise et ont exposé la situation dans plusieurs domaines. Les JDC ont également été l’occasion de découvrir des projets d’innovation «made in» Suisse romande.
04.10.2022

Dominique Martin, responsable Affaires publiques à l’AES, a lancé les festivités. Son mot de bienvenue a été l’occasion de rappeler les enjeux actuels de la politique énergétique et les discussions qui ont occupé le Conseil des États pendant la session d’automne dans le cadre de la révision de la LEne et de la LApEl. La nécessité d’agir sur le développement des capacités de production, les enjeux autour du réseau, de la digitalisation, de l’accès aux données et du WACC n’ont pas manqué d’être mentionnés. Le risque – réel et important – d’une pénurie d’électricité dès l’hiver prochain a également été abordé.

Ulrich Schmid, professeur de culture et de société russes à Saint-Gall, a partagé avec l’assemblée ses réflexions concernant la guerre en Ukraine et la situation géopolitique du moment. Il a souligné que nous étions confrontés actuellement à plusieurs guerres et que, si la guerre entre la Russie et l’Ukraine était évidente, il y avait aussi, par exemple, l’occupation insidieuse de la Biélorussie ou la guerre d’énergie de la Russie contre l’Ouest. Quant aux scénarios que la Russie et l’Ukraine allaient choisir pour la suite, ils restaient ouverts: Corée du Nord, Biélorussie ou peut-être URSS tardive seraient des options pour l’une, alors que des solutions comme la Bosnie, le Liban ou encore Israël seraient intéressantes pour l’autre.

«On n’est pas en mode crise, mais on se prépare»

Dans le contexte actuel difficile en matière d’approvisionnement, plusieurs spécialistes ont fourni un point de situation. Chez Swissgrid, Emanuele Colombo (Senior Strategic Advisor BU Market) a rappelé «qu’on n’est pas en mode crise, mais qu’on se prépare» à un hiver potentiellement difficile. Mais sans accord sur l’électricité avec l’UE, le système est de plus en plus tendu et la Suisse se retrouve toujours plus isolée. Pour René Bautz, CEO de GAZNAT et président du Global Gas Centre à Genève, les leçons à tirer sont claires. Il faut absolument éviter de réduire l’offre d’énergie avant d’avoir mis en place de nouvelles productions. Les procédures pour la mise en place d’infrastructures énergétiques doivent être simplifiées et accélérées et les interdits technologiques sont à éviter.

Initiative pour des économies d’énergie pour l’hiver 22/23

Une partie de ces éléments ont également été rappelés par Benoît Revaz quand il a abordé les affaires actuelles de politique énergétique. Le directeur de l’OFEN a fait un état des lieux des mesures à court terme – décidées par le Conseil fédéral ou en discussion au Parlement – pour garantir la sécurité d’approvisionnement de la Suisse: la mise en place d’une réserve hydroélectrique, de centrales à gaz de réserve, l’augmentation de la capacité du réseau électrique, etc. Il a également rappelé l’initiative pour des économies d’énergie pour l’hiver 22/23 et abordé la question des aides financières subsidiaires destinées au sauvetage des entreprises du secteur de l’électricité, tout cela en vue d’éviter un effondrement du système.

«Libre un jour, libre toujours»

Laurianne Altwegg, vice-présidente de l’ElCom, est venue faire le point sur les prix et tarifs 2023 d’une part, et sur la sécurité de l’approvisionnement d’autre part. Grande source de débats actuellement, la question du retour à l’approvisionnement de base pour les gros clients ayant opté pour le marché libre a forcément suscité des questions du public. Laurianne Altwegg a rappelé que la règle était claire: c’est le principe du «libre un jour, libre toujours» qui s’applique. L’ElCom est d’ailleurs compétente pour évaluer au cas par cas les situations de modifications du site de consommation ou de regroupement dans le cadre de la consommation propre (RCP). Également d’actualité, la question de l’approvisionnement de remplacement, la compétence de l’ElCom en matière de processus de changement de fournisseur et en matière de coûts et recettes ont été évoquées.

Le marché fonctionne

Même s’il connaît actuellement une grande volatilité des prix, le marché fonctionne. Davide Orifici, Director Public & Regulatory Affairs and Communications chez EPEX SPOT, a tenu à le rappeler. Des interventions sur le système au niveau de la formation des prix comportent le risque d’une «économie iceberg»: en touchant à la sécurité d’approvisionnement et à la stabilité du système, à l’intégration européenne et au couplage des marchés, les avantages du système actuel pourraient se transformer en risques invisibles. D’autre part, des interrogations surgissent quant aux effets sur le signal d’investissement, la flexibilité et l’innovation.

Le succès des mesures en cas de pénurie d’électricité dépend des EAE/GRD

Lukas Küng, responsable de la Commission OSTRAL, a rappelé le rôle de OSTRAL pour garantir un approvisionnement en électricité à un niveau plus bas pendant une pénurie d’électricité. En situation de nécessité de procéder à des mesures de gestion réglementée de l’offre et de la demande le contingentement va permettre, dans le meilleur des cas, d’éviter des mesures encore plus radicales comme les délestages ou le black-out. Actuellement, OSTRAL teste le processus de contingentement chez les GRD, l’objectif étant de vérifier les processus et l’organisation chez les GRD. Le succès des mesures en cas de pénurie d’électricité dépend des EAE/GRD. Pour ce faire, préparation, aide et collaboration actives sont nécessaires. Concrètement, Lukas Küng a appelé à veiller à l’échange d’information, à clarifier en interne les responsabilités et les processus, à aider au besoin les gros consommateurs, ainsi qu’à soigner l’échange avec les états-majors de crise des différentes zones de desserte.

Trois principes à savoir sur la cybercriminalité

S’il y a plusieurs scénarios possibles pouvant mener à une pénurie d’électricité, celui qui inquiète le plus le responsable OSTRAL, c’est la cyberattaque. Bastien Wanner, conseiller senior cyberdéfense à l’Armée Suisse, a pu rassurer quelque peu l’assemblée sans pour autant sous-estimer les enjeux. L’expert a passé en revue les différents risques, en mentionnant que le plus grand souci en matière de cyberdéfense des infrastructures critiques était le rançongiciel, comme on a pu le voir dans une commune vaudoise. Il a aussi souligné le fait que la cybercriminalité va toujours avoir des effets sur la confidentialité, l’intégrité ou la disponibilité des données.

Projets d’innovation «made in» Suisse romande

Les JDC ont également été l’occasion de découvrir des projets d’innovation « made in » Suisse romande. Le logiciel Urbio, par exemple, développe des modèles énergétiques pour prioriser les projets énergétiques et automatiser la planification des clients. Selon Sébatien Cajot, cofondateur et CEO, Urbio permet de se focaliser sur les projets prometteurs et de gagner 90% de temps.

Avec Insolight, il est question d’alimenter à la fois les citoyens et le réseau électrique. Ce projet d’agrivoltaïsme entend remplacer les serres en plastique par des panneaux solaires. Des cultures comme les fraises ou les framboises pouvant être fragiles et n’ayant pas besoin du même ensoleillement toute l’année, il est question de les protéger de certains aléas de la météo d’une part, et de récupérer l’excédent de lumière pour produire de l’électricité d’autre part.

Thèmes-clés de la politique énergétique

Les JDC ont aussi donné la possibilité de participer à des ateliers interactifs. Au menu, il y avait l’efficacité énergétique avec le programme PEIK (Julien Egger, directeur du secrétariat PEIK), les Energy Living Labs (Joëlle Mstelic, professeure à la HESSO) et le Négawatt (David Moreau, directeur).

En clôture, Nadja Germann, responsable Formation continue Énergie à l’AES, s’est attachée à rappeler les grands moments de la manifestation, tout en invitant les participantes et participants à se retrouver le 23 novembre prochain à l’occasion des Thèmes-clés de la politique énergétique, qui auront lieu à Lausanne.