Approvisionnement énergétique: quand on est au pied du mur et qu’on vole à l’aveugle

À l’occasion des «Thèmes clés de la politique énergétique» de l’AES, la branche, la Confédération et les politiques ont discuté des principales préoccupations de la population suisse: la sécurité d'approvisionnement et le climat. Si la direction est claire pour tout le monde, les opinions divergent encore concernant les mesures à prendre.
25.11.2022

Roger Nordmann, Martina Mousson et Benoît Revaz répondent aux questions sur les thèmes-clés de la politique énergétique.

«La conservation de l'énergie doit être garantie en tout temps». C'est avec la dimension physique de la sécurité d'approvisionnement que le président de l'association Michael Wider a accueilli les participants à la manifestation des «Thèmes clés de la politique énergétique»de l'AES sur les, le 23 novembre 2022 à Lausanne. Selon lui, l'équation est simple: production - consommation + importation - exportation = 0. Les variables de l'équation vont fortement changer d'ici 2050, notamment en raison de la disparition de l'énergie nucléaire du côté de la production et de l'augmentation de la consommation d'électricité due à la décarbonisation. «Les défis sont énormes, car l'équation physique doit toujours aboutir à zéro», a constaté Michael Wider.

Les défis sont importants, surtout en vue de cet hiver, a expliqué Benoît Revaz, directeur de l'Office fédéral de l'énergie. La première ressource que tout le monde a, c’est l’efficacité. Raison pour laquelle la Confédération a rapidement lancé une campagne d’économies. Les nombreuses mesures prises dans le domaine de l'électricité et du gaz donnent des signaux positifs, mais l’incertitude reste grande. Pour cette raison, il est nécessaire de continuer à fournir des efforts. Parmi les mesures visant à garantir la sécurité d'approvisionnement à moyen et à long terme, Benoît Revaz a notamment mentionné l'acte modificateur unique (le «Mantelerlass»), l'accélération des procédures (avec le bon outil qu’il reste à trouver) ou encore les projets de la table ronde consacrée à l’énergie hydraulique. Ces derniers doivent maintenant avancer concrètement

Sortir du «pétrin» avec la feuille de route de l'AES pour la sécurité d'approvisionnement

La crise énergétique devrait également figurer parmi les thèmes dominants des élections parlementaires fédérales de 2023 et en déterminer l'issue, comme l'ont clairement montré les explications de Martina Mousson, cheffe de projet chez l'institut de recherche politique gfs.bern. Actuellement, outre la crise climatique, le thème de la sécurité fait partie des principales préoccupations de la population suisse, en particulier la sécurité de l'approvisionnement en énergie. Selon Martina Mousson, les partis que l'on pense compétents en matière de politique énergétique et climatique pourraient sortir gagnants des élections, même si la cote des Verts semble quelque peu stagner aujourd’hui.

La sécurité d'approvisionnement est depuis longtemps une priorité absolue pour la branche. L’AES a ainsi établi une feuille de route avec plus de 40 mesures tout au long de la chaîne de création de valeur, qui sont nécessaires pour garantir la sécurité d'approvisionnement à court, moyen et long terme. «La sécurité d'approvisionnement est un système global qui doit être pensé de bout en bout. Il n'existe pas une seule mesure phare qui nous permettrait, pour parler vulgairement, de nous sortir du pétrin. Il s'agit plutôt d'une interaction de toutes ces mesures», a souligné Dominique Martin, responsable du secteur Public Affairs et membre de la direction de l'AES. Il a prié les parlementaires présents de prendre dûment en considération le réseau électrique. Bien que ce dernier constitue le pilier de la stratégie énergétique et climatique, il est très souvent oublié dans le débat sur la politique énergétique. En outre, il faut enfin trouver une solution contractuelle durable pour les relations entre la Suisse et l'UE, en particulier dans le domaine de l’électricité.

Réseau et pesée des intérêts

Roger Nordmann (conseiller national et président du groupe socialiste au Parlement) et Patrick Bertschy (membre du comité de l’AES et directeur Réseaux chez Romande Energie) se sont livrés à une discussion sur les attentes et les enjeux envers et autour du réseau. Pour Roger Nordmann, il va falloir doter le réseau de capacités de stockage intermédiaires, notamment au niveau du réseau fin de distribution. Autre élément essentiel, la collecte de données, qui doit se faire avec un seul Datahub. Pour Patrick Bertschy, l’enjeu du réseau se trouve au niveau de la puissance que le réseau devra. Il y a aussi des mécanismes à modifier pour que les coûts qui couvrent le réseau puissent refléter les coûts que nécessite l’investissement dans le réseau.

Dans le cadre du débat animé par Bernard Wuthrich, journaliste spécialisé en politique énergétique, ce sont trois parlementaires fédéraux qui ont échangé leurs points de vue sur la politique énergétique qui navigue actuellement entre urgence et stratégie à long terme. Pour Jacques Bourgeois (conseiller national PLR et président de la commission parlementaire concernée) et Benjamin Roduit (conseiller national Le Centre), on peut voir venir sereinement l’hiver prochain, mais il faut rester prudent et prendre des mesures pour la suite, notamment en matière d’économies d’énergie et de développement des énergies renouvelables. Pour Christophe Clivaz (conseiller national Les Verts), quand on parle de pesée des intérêts, la ligne rouge est définitivement la biodiversité. Il voit davantage de marge de manœuvre au niveau du paysage. La nécessité d’accélérer les procédures est évidente pour tous ; il est important pour Christophe Clivaz de pouvoir tout de même procéder à une pesée des intérêts au cas par cas. Pour Benjamin Roduit, il est essentiel de ne pas oublier le potentiel de contribution de la petite hydraulique, car chaque kilowattheure compte. Quant au marché, il y a des mécanismes à revoir.

Accélérer la digitalisation

Le mot de la fin est revenu au directeur de l'AES, Michael Frank. S'il fallait tirer quelque chose de positif de la crise énergétique et des prix records de l'électricité, ce serait le fait que la sécurité d'approvisionnement, l'énergie et l'électricité ont retrouvé une valeur. Donc, oui à l’efficacité et à la sobriété, il faut bel et bien changer l’attitude de la société.

Actuellement, avec les défis de la crise énergétique et de la cybersécurité, on vole à l’aveugle. Il est nécessaire d’avancer beaucoup plus rapidement dans le domaine de la disponibilité des données et de la digitalisation.

C’est seulement lorsqu’on se trouve au pied du mur qu’on prend des mesures. Le directeur de l’AES espère que les décisions prises par le Conseil des Etats en automne dernier sur le «Mantelerlass» seront confirmées par le Conseil national, ceci dans le but d’améliorer la sécurité de l’approvisionnement en électricité et de diminuer la dépendance de la Suisse vis-à-vis des importations d’agents énergétiques.