Une pénurie d’électricité comme celle du Texas pourrait-elle nous toucher aussi?

Des millions de gens sans électricité, par un froid de canard: c’est la situation qu’a connue le Texas il y a peu – avec, à la clé, des morts et des factures d’électricité astronomiques. Une telle crise pourrait-elle aussi se produire en Suisse? Entretien avec Michael Frank, Directeur de l’AES.
02.03.2021

Michael Frank, qu’est-ce qui a causé la pénurie d’électricité au Texas?

Suite à une tempête hivernale, le thermomètre a atteint des records inhabituels de basses températures, et de nombreux Texans ont alors mis à fond leurs chauffages, souvent alimentés par des pompes à chaleur électriques. En même temps, beaucoup d’éoliennes et de gazoducs ont gelé, avec pour conséquence une chute drastique de la production d’électricité. L’offre et la demande se sont retrouvées en fort déséquilibre. Le Texas n’est pas raccordé au réseau de transport américain; l’État exploite son propre réseau indépendant. Cet «îlot électrique» n’a donc pas pu compter sur un système interconnecté qui aurait pu stabiliser la situation. Les gestionnaires de réseau n’ont pas eu d’autre solution que de couper les réseaux électriques sur de grands espaces afin d’éviter un effondrement total du réseau texan – c’est ce qu’on appelle les délestages par roulement.

Aurait-on pu éviter un tel désastre?

Déjà en 2011, un épisode hivernal du même genre avait paralysé des parties du réseau électrique texan. Des experts du gouvernement fédéral avaient alors recommandé à l’État du Texas de préparer ses installations de production pour l’hiver en chauffant les pipelines et en construisant des dispositifs de stockage d’énergie supplémentaires. Le manque d’investissements dans le réseau électrique texan constitue une autre cause de la pénurie. Les recommandations n’ont jamais été mises en œuvre. On aurait sans problème pu éviter ces pannes de courant. Il est possible de protéger les éoliennes contre le givrage, ce qui est d’ailleurs systématiquement fait dans les régions nordiques. On peut diminuer les pannes des centrales à gaz en les protégeant contre le froid extrême. Apparemment, on a voulu économiser sur les coûts nécessaires à ces mesures préventives. Mais les coûts occasionnés par les pannes seront probablement bien plus élevés que ce qui aurait dû être investi.

 

En hiver, la Suisse produit trop peu de courant par rapport à ses besoins – et elle doit donc en importer. Le cas du Texas pourrait-il se produire en Suisse? 

On ne peut totalement exclure nulle part des coupures de courant faisant suite à des intempéries ou à des dommages sur les réseaux, ni des pénuries d’électricité en raison d’un déséquilibre entre l’offre et la demande. Mais on peut prendre des mesures préventives pour limiter ces risques. La sécurité du réseau est assurée grâce à un entretien permanent du réseau, à son développement et à la garantie de sa résilience. De plus, nous devons garantir à long terme un raccordement fort au système d’interconnexion européen, ce qui améliore la stabilité du réseau. Concernant le côté production, il faut faire avancer sans relâche le développement des énergies renouvelables indigènes afin de remplacer les capacités garanties – provenant de sources européennes fossiles et de nos centrales nucléaires – qui disparaissent. Un degré d’auto-approvisionnement suffisamment élevé est absolument essentiel dans ce contexte.  

Prévenir une situation comme celle du Texas est décisif pour l’économie et la société – et peut fortement limiter les dommages. Mais, comme toute assurance, cela – davantage de sécurité d’approvisionnement – a un prix.

 

On a besoin d’un système résilient, c’est-à-dire à la fois résistant et flexible, avec un mix électrique varié, pour pouvoir affronter les défis tels que celui survenu au Texas.

Que peut-on apprendre des incidents du Texas?

On a besoin d’un système résilient, c’est-à-dire à la fois résistant et flexible, avec un mix électrique varié, pour pouvoir affronter les défis tels que celui survenu au Texas. En 2017, nous avons voté en faveur de la Stratégie énergétique. Un système électrique résilient inclut une production indigène suffisante issue des énergies renouvelables – et ce, également en hiver – ainsi que des réseaux flexibles et adaptés à notre époque, et enfin des dispositifs de stockage fiables. 

Et puis, à la différence du Texas, la Suisse n’est – heureusement – pas un îlot électrique. Le maintien de l’échange d’électricité avec les pays voisins, d’importance systémique, joue un rôle central pour la sécurité d’approvisionnement de la Suisse. C’est pourquoi il faut un accord sur l’électricité avec l’UE.