Pourquoi des bénéfices élevés ne sont pas forcément synonymes de tarifs de l’électricité bas

05.09.2023
Actuellement, les consommateurs et les consommatrices ne sont pas à envier: loyers qui prennent l’ascenseur, abonnement général qui augmente, affranchissement du courrier – encore une fois – en hausse, pour ne citer quelques exemples. Et voilà que la branche de l’électricité s’y met aussi, annonçant des tarifs plus élevés bien que certains producteurs d’électricité aient communiqué, au printemps, des bénéfices juteux un peu partout. Soupçons et reproches ne sont alors pas loin: les producteurs «arnaqueraient» les consommateurs et généreraient des milliards de profits sur leur dos.

Mais… ces reproches ont beau, à première vue, tomber sous le sens, on se rend compte en y regardant de plus près qu’ils sont erronés. Car, en Suisse, les tarifs de l’électricité sont totalement réglementés – du moins pour les consommateurs à l’approvisionnement de base, c’est-à-dire pour tous ceux qui ne peuvent pas choisir librement leur fournisseur d’électricité, appelés «clients captifs». Les autres – les gros consommateurs qui consomment plus de 100 mégawattheures par an – peuvent se procurer leur électricité sur le marché et mener des négociations individuelles sur les prix. Et ils peuvent changer de contrat et de fournisseur n’importe quand. Cela, les clients captifs ne le peuvent pas, car le marché n’est pas complètement ouvert.

Nous parlerons ici des consommateurs à l’approvisionnement de base et de leurs tarifs d’électricité. En 2024, ces tarifs augmenteront de 18% en valeur médiane, comme l’ElCom (la Commission fédérale de l’électricité) l’a communiqué ce 5 septembre. Contrairement aux prix de l’électricité pour les gros consommateurs, les entreprises d’approvisionnement en électricité sont tout sauf libres lorsqu’il s’agit de former les tarifs pour les consommateurs à l’approvisionnement de base: il faut intégrer dans l’approvisionnement de base la production propre aux coûts de revient et l’énergie achetée sur le marché aux coûts d’acquisition. En outre, l’ElCom n’autorise des coûts administratifs et de vente (bénéfices compris) que de 60 francs par client et par an, les dérogations devant être motivées et justifiées. Le tarif d’utilisation du réseau se base également sur des coûts réglementés.

Les fournisseurs de base doivent non seulement tenir compte de ces prescriptions légales pour déterminer les tarifs de l’électricité, mais ils ont également l’obligation d’annoncer les tarifs à l’ElCom. En tant qu’autorité de régulation publique indépendante, celle-ci surveille que les prescriptions légales soient respectées lors de la formation du tarif, et elle intervient si besoin est.

Le tarif de l’électricité dans l’approvisionnement de base est formé de plusieurs composantes: le tarif de l’énergie est le prix effectif du courant fourni. Le tarif d’utilisation du réseau est le prix de l’utilisation du réseau de transport et de distribution; il finance la construction, l’extension, l’exploitation et l’entretien des réseaux. Les taxes pour la réserve hydroélectrique en hiver et pour les centrales de réserve comme celle située à Birr (Argovie), ainsi que les coûts de concession ou la redevance hydraulique versée aux cantons et aux communes font partie du tarif d’utilisation du réseau. Le supplément réseau est une taxe par laquelle les énergies renouvelables sont encouragées dans toute la Suisse. Et enfin, viennent s’ajouter à cela d’autres taxes aux collectivités et aux cantons.

Le 5 septembre 2023, l’ElCom a communiqué les tarifs de l’électricité pour 2024. Comme en 2023, les tarifs de l’électricité augmenteront l’année prochaine, et ce de 18% en valeur médiane. Le présent article explique comment se forment les prix de l’électricité et pourquoi les entreprises qui affichent un bénéfice élevé peuvent quand même être obligées d’augmenter leurs tarifs de l’électricité.

Q&R prix de l'électricité et vidéo explicative

Mais, au fond: pourquoi les tarifs de l’électricité augmentent-ils une nouvelle fois? D’une part, la crise énergétique qui persiste y contribue considérablement. Les prix de l’électricité sur le marché de gros ont connu une hausse massive en 2021, notamment en raison des prix plus élevés des combustibles et du CO2, des niveaux de remplissage historiquement bas des réservoirs de gaz, ainsi que des défaillances et des arrêts de centrales. D’autre part, la situation des prix déjà tendue a continué de se détériorer avec la guerre en Ukraine et la sécheresse dans toute l’Europe, pour atteindre des records historiques en août 2022. À ce moment-là, malgré les prix très élevés, les fournisseurs ont dû acheter de l’énergie pour l’année 2024 et les suivantes. Depuis, la situation des prix s’est certes quelque peu reprise, mais les prix du marché restent tout de même supérieurs à la moyenne des années antérieures à 2021. Les prix actuels sur le marché de gros, qui ne sont certes plus aussi élevés, n’auront des répercussions que sur les tarifs de l’électricité de 2025. À cet égard, le prix de l’électricité subit le même sort que les prix de l’essence et du diesel, qui ont également fortement pris l’ascenseur pendant la crise et qui, malgré une certaine reprise, se situent encore aujourd’hui au-dessus de leur niveau d’avant la crise. Et, comme la crise énergétique européenne n’est toujours pas terminée, l’évolution à court et moyen terme pour l’électricité est elle aussi incertaine.

Et qu’en est-il des milliards de bénéfices évoqués en début d’article? Pourquoi n’ont-ils aucune influence sur les tarifs de l’électricité? Et même, les producteurs d’électricité font-ils des profits au détriment des consommateurs captifs de l’approvisionnement de base? Non, car leurs gains, ils les engrangent à travers la vente de leur produit sur le marché, et non dans l’approvisionnement de base. Les entreprises Axpo et Alpiq, controversées à tort, n’ont par exemple aucun client à l’approvisionnement de base: elles vendent leur électricité sur le marché à de gros clients.

Mais alors, qu’advient-il des bénéfices réalisés par les grands producteurs? Eh bien, une fois les impôts payés, une part est reversée aux propriétaires des entreprises sous forme de dividendes. Et, étant donné que ces propriétaires sont généralement des cantons, des villes, des communes ou leurs services industriels, les bénéfices profitent ainsi indirectement à la société. Mais les producteurs d’énergie en investissent aussi une grande partie dans l’entretien et la rénovation de l’infrastructure électrique. Actuellement, nombre de ces investissements sont réalisés dans l’hydraulique, l’éolien et le photovoltaïque, afin de produire de l’électricité issue d’énergies renouvelables. Là aussi, c’est la communauté qui en profite: d’une part, car ces nouvelles installations permettront d’atteindre plus rapidement les objectifs climatiques; et d’autre part, car une infrastructure saine et moderne constitue la base de la sécurité d’approvisionnement.

Directeur de l'AES

Michael Frank

Michael Frank est Directeur de l’Association des entreprises électriques suisses (AES) depuis 2011. Avocat, il dispose aussi d’une vaste expérience professionnelle dans le secteur de l’électricité et sur les marchés en voie de libéralisation.