Miser sur tous les renouvelables pour passer l’hiver en sécurité

L’actualité au Texas met tristement en valeur l’enjeu de la sécurité de l’approvisionnement en électricité. Pour l’instant, la Suisse ne craint pas une telle situation. Dans le contexte des perspectives énergétiques de la Confédération, les questions de la capacité d’importation et du développement de l’énergie renouvelable indigène en hiver revêtent une importance capitale. Aucune source de renouvelable ne peut être négligée, chaque kilowattheure produit en hiver valant de l’or.
01.03.2021

Les températures printanières actuelles réchauffent les cœurs et les esprits. Laissant espérer que la crise sanitaire du Covid19 sera bientôt du passé, elles font également oublier le froid et la grisaille de ce début d’année. Seule piqûre de rappel : le blizzard arctique qui s’est abattu à la mi-février au Texas. Cette vague de froid polaire historique a poussé l’Etat américain au bord de la crise humanitaire et mis au jour les défaillances de son système d’approvisionnement électrique. En effet, cumulées à des pertes de production, les structures du réseau n’ont pas pu gérer une trop forte demande d’énergie, ce qui a conduit le Texas à une pénurie d’électricité. Une crise de cette envergure pourrait-elle se produire dans notre pays ?

Si la Suisse n’a jusqu’ici pas vécu de situation aussi grave, c’est aussi parce qu’elle est située au cœur du marché et du réseau interconnecté européen et bénéficie de l’équilibre de ce grand système. Il lui sert de filet de sécurité permettant de pallier d’éventuels problèmes internes. Une chose est certaine : si une crise majeure inédite venait à se produire, il ne s’agirait pas d’un événement isolé en Suisse, mais bien d’une crise à l’échelle européenne. Nul n’étant malheureusement à l’abri d’une situation de l’extrême, il convient de prévoir. La Suisse se tient donc prête : Créée par l’AES, l’Organisation pour l’approvisionnement en électricité en cas de crise (OSTRAL) – procède aux préparatifs nécessaires pour surmonter des situations de crise. Activée en cas de pénurie d’électricité de longue durée, OSTRAL exécute les mesures ordonnées par le Conseil fédéral au moment crucial.

Un système européen en pleine transition

Les conséquences d’une telle crise – même si elle saurait être maîtrisée jusqu’à un certain point par OSTRAL - seraient gravissimes. Il convient donc de les éviter à tout prix. Le défi est de taille, car la capacité assurée par l’énergie nucléaire se réduit progressivement, conformément à la Stratégie énergétique 2050. Cette dernière trace en revanche la voie pour booster la production d’électricité renouvelable destinée à remplacer le nucléaire. Néanmoins, l’hiver reste une saison particulièrement sensible du point de vue de l’approvisionnement. La cadence actuelle de développement du renouvelable n’est pas près de permettre à la Suisse de se libérer d’une dépendance croissante aux importations en électricité.

Une situation spécifique et isolée ? Non. Car il en va de même chez nos voisins européens, qui envisagent une réduction massive des capacités assurées durant les prochaines années. La France prévoit ainsi une réduction notable de son parc nucléaire d’ici à 2035, alors que  l’Allemagne amorce également un chamboulement de sa production en sortant du nucléaire et du charbon.

Pourrons-nous alors dans le futur compter aveuglément sur nos voisins européens pour nous approvisionner ? Rien n’est moins sûr. La France craint déjà aujourd’hui pour son propre approvisionnement. Elle aurait connu une situation très délicate ce mois de février, s’il avait fallu affronter une vague de froid. Tel n’a pas été le cas, mais dès l’été dernier, les Français avaient été prévenus d’éventuelles restrictions de la consommation (éco-gestes, dispositif d’interruptibilité, voire même délestage en dernier recours).

Néanmoins, l’hiver reste une saison particulièrement sensible du point de vue de l’approvisionnement.

Priorité à l’auto-approvisionnement en hiver

Avec la mise hors service programmée de grand nombre de capacités garanties à l’échelle européenne, un gros point d’interrogation plane au-dessus des importations d’électricité. Or la dépendance de notre pays vis-à-vis des importations s’accentuera encore en hiver. Les prévisions de la Confédération estiment un déficit en approvisionnement pouvant atteindre près de 40% en 2035.

Cette réalité place une fois de plus les questions des importations et de la sécurité de l’approvisionnement en électricité au centre du débat. Autant la branche que la Commission fédérale de l’électricité (ElCom) insistent sur cet enjeu majeur pour la Suisse. L’ElCom a déjà mis en garde à plusieurs reprises contre les risques d’une dépendance vis-à-vis des importations. Elle recommande d’ailleurs de ne pas dépasser une dépendance à l’importation de 10 TWh (ou 20% de la consommation) en hiver. Un effort massif d’investissement dans l’auto-approvisionnement sera indispensable pour y parvenir.

Avec la poursuite de l’objectif de zéro émission de gaz à effet de serre d’ici à 2050, la décarbonisation du secteur de l’énergie suisse s’intensifie. Qui dit décarbonisation dit électrification. Et qui dit électrification dit besoins accrus en électricité renouvelable. Pour les couvrir d’ici à 2050, les Perspectives énergétiques 2050+ de la Confédération tablent sur une augmentation de 10% de la production hydraulique pour atteindre 45 TWh. Dans le même temps, il s’agira de multiplier par 10 la production d’énergie solaire – passant d’environ 3% à 40% du portefeuille de production annuelle – pour atteindre une production de 34 TWh. Pour l’énergie éolienne, il est question de viser une production de 4 TWh, passant de 0,2% à presque 5% de la production totale d’électricité.

Ces chiffres montrent que l’objectif est ambitieux. Pour y répondre, la Suisse peut compter sur ses ressources naturelles en misant sur l’hydraulique, l’éolien et le photovoltaïque (que ce soit avec des installations sur nos toits ou des installations en altitude). Le potentiel est bien là, encore faut-il le saisir.

Quand il fait froid et que le soleil vient à manquer

La réponse à l’auto-approvisionnement en électricité se trouve définitivement dans le développement de tous les profils d’injection renouvelable, chacun ayant son potentiel propre au fil des saisons. Compte tenu de la législation actuelle, de l’évolution technique et de la réalité sociale, le développement en Suisse se concentrera essentiellement sur les installations photovoltaïques qui, avec l’hydraulique, seront probablement les principales technologies de production d’électricité utilisées en Suisse à l’avenir. Mais comment passer la fin de l’hiver en toute sécurité – quand les réserves des lacs d’accumulation se font rares – en situation de vague de froid, combinée à un temps couvert ?

Ce genre d’épisode n’est pas une exception. Le mois de janvier dernier a brillé par un manque d’ensoleillement, par de basses températures (avec quelques journées glaciales enregistrées) et par de fréquentes chutes de neige. A la même période, Suisse Eole a annoncé une année 2020 record avec une production des parcs éoliens dépassant en moyenne de 14% les prévisions faites lors de leur construction. Les (rares) éoliennes ont tourné à plein régime, confirmant que l’énergie éolienne, de par sa complémentarité à l’énergie solaire, constitue l’une des réponses les plus efficaces en termes de sécurité d’approvisionnement hivernal.

En sachant qu’il y a une véritable urgence d’ici à 2035, comment justifier objectivement que les projets de réalisation aient autant de difficulté à passer la rampe des autorisations ?

Le moment est venu de faire tomber les obstacles

Au regard de la catastrophe texane et des réductions de capacités assurées en Europe ces prochaines années, qu’en est-il vraiment de la sécurité d’approvisionnement en électricité de la Suisse dans le futur ?  Avec des insécurités majeures qui planent sur les importations, un approvisionnement indigène suffisant à toutes les saisons s’impose. Seul un mix d’énergies diversifié et intelligent permettra de le réaliser. Il est ainsi temps de passer à la vitesse supérieure pour le développement de toutes les énergies renouvelables, notamment l’éolien et l’hydraulique.  

Or à ce jour, le développement de ces énergies piétine. Hormis le solaire, qui progresse constamment dans sa conquête de nos toits, la plupart des projets sont en difficulté. Les obstacles administratifs et le manque d'acceptance des projets d'énergies renouvelables ralentissent le progrès. Les recours contre les parcs éoliens, l'expansion de l'hydroélectricité et les extensions du réseau sont fréquents, pour ne pas dire systématiques. En sachant qu’il y a une véritable urgence d’ici à 2035, comment justifier objectivement que les projets de réalisation aient autant de difficulté à passer la rampe des autorisations ?

Si la production d’énergie renouvelable en hiver est bien une priorité de la Stratégie énergétique et que chaque kilowattheure produit à cette saison vaut de l’or, il est temps de joindre les actes à la parole. Grâce au soleil, à l’eau et au vent - et en particulier à leur complémentarité - le potentiel est bien disponible en Suisse. Nous avons les moyens d’éviter une catastrophe à la texane. Encore faut-il un consensus et un effort commun pour le mettre à profit d’un approvisionnement sûr et respectueux du climat.