Ensemble pour atteindre les objectifs 2050

Avec le développement indispensable des énergies renouvelables, l’hydraulique est à l’heure de vérité. En Valais, producteurs, exploitants et hautes écoles s’organisent pour faire croître les compétences qui permettront à cette dame centenaire – colonne vertébrale d’un approvisionnement électrique sûr – de répondre aux attentes. Interview avec Stéphane Maret et Amédée Murisier.
11.10.2021

Bulletin: L’hydroélectricité doit jouer un rôle majeur dans la Stratégie énergétique 2050. Quels sont les défis à relever?

Amédée Murisier: Quand elle considère l’hydroélectricité, la Stratégie énergétique 2050 a tendance à se focaliser sur les quelques projets qu’il reste à développer, au détriment des ouvrages existants. Or, si ces derniers veulent jouer le rôle qui leur est imparti dans les perspectives liées au système énergétique suisse, ils doivent pouvoir continuer à remplir leur fonction. En effet, plus l’électricité est produite à partir du soleil et du vent, plus le besoin en flexibilité pour stabiliser le réseau augmente, ce que seule l’énergie hydraulique peut apporter à grande échelle. Les centrales électriques doivent donc être de plus en plus réactives et flexibles. Cela vaut également pour les marchés de plus en plus volatils.

Dans ce contexte, c’est justement la recherche appliquée, comme prév dans le cadre de la collaboration avec l’Hydro Alps Lab de la HES-SO Valais-Wallis, qui va permettre de pérenniser l’hydroélectricité. Il faut comprendre les mécanismes de vieillissement des installations existantes, afin de pouvoir garantir le fonctionnement de ces ouvrages pour les prochaines décennies. Les nouvelles technologies seront au service de l’optimisation de l’exploitation de nos installations.

Stéphane Maret: Le Valais est le canton avec la plus grande production hydroélectrique brute en Suisse (entre 25 et 30 %). Il intègre à la Stratégie énergétique 2050 de la Confédération sa vision cantonale en vue d’un approvisionnement 100 % renouvelable et indigène. La logique de ce partenariat entre les quatre acteurs incontournables de l’hydroélectricité dans notre canton s’est donc imposée comme une évidence. Avec l’Hydro Alps Lab, il est question d’améliorer encore la flexibilité, la disponibilité, la fiabilité et l’efficacité de nos ouvrages. De plus, la notion de multifonctionnalité de l’eau est également à prendre en considération. Dans un contexte de changement climatique et de transition énergétique, les problématiques des dangers naturels, de l’irrigation et de l’eau potable vont également s’inviter dans la réflexion. Avec le temps, le besoin et les opportunités à faire travailler encore plus les aménagements les uns avec les autres se fera plus grand, ceci dans une vision transversale de la force hydraulique, en complémentarité avec les autres usages de l’eau.

Quelles sont les opportunités que vous voyez dans ce partenariat autour de l’Hydro Alps Lab?

Stéphane Maret: Il s’agit de montrer que la force hydraulique, cette fée centenaire, reste ultra moderne. En effet, il n’est pas question de se cantonner au bon fonctionnement des machines classiques, avec leurs alternateurs et turbines, mais bien d’introduire les nouvelles technologies dans les outils servant l’exploitation de nos barrages. La Haute Ecole d’Ingénierie (HEI) va justement amener ces nouvelles technologies dans le cadre de la digitalisation et de la gestion des données, ainsi que dans les nouvelles tendances qui se mettent en place. Les capacités actuelles d’exploitation de nos barrages, associées à la vivacité et à l’agilité d’une école d’ingénieurs, est la recette gagnante: les propriétaires d’ouvrages apportent de vrais projets de réalisation que les étudiants peuvent contribuer à amener à la pointe de l’Industrie 4.0.

Amédée Murisier: La garantie de la pérennisation de l’hydroélectricité passe par la contribution à l’émergence des talents de demain. À l’heure actuelle, on peine à trouver des ingénieurs qualifiés, avec de l’expérience dans les domaines liés à l’exploitation de la force hydraulique. C’est vrai pour l’Europe, la Suisse et aussi le Valais. La chance pour notre canton: avoir ce laboratoire naturel à disposition. Il peut favoriser la création de vocations et montrer à quel point le métier peut être passionnant, avec beaucoup de facettes et des perspectives de carrière.

L’apparition de nouveaux métiers est-elle aussi une réalité dans l’hydroélectricité?

Stéphane Maret: On voit bien l’apparition de nouveaux métiers. Même si, comparativement à d’autres branches, il reste un substrat dans l’hydroélectricité qui ne va pas évoluer. Si on peut lire dans la presse que 50% des métiers actuels auront disparu dans le futur, je pense que le ratio sera plus faible dans notre branche.

Amédée Murisier: Ce qui fait la beauté de notre métier, c’est le lien avec le construit, et donc le besoin toujours actuel des sciences de bases. Mais le futur connaîtra certainement une automatisation des tâches plus répétitives et des campagnes de mesure. Les profils professionnels vont donc se déplacer de la manutention vers l’analyse. Tous les métiers liés au Big Data, à la digitalisation en général, seront appelés à évoluer. On observe d’ailleurs aujourd’hui que les jeunes ingénieurs fraîchement diplômés sont pour la plupart déjà capables de programmer et deviennent toujours plus polyvalents. Dans le futur, le domaine de l’énergie connaîtra plus d’ingénieurs en hydroélectricité que d’ingénieurs civils ou d’électriciens traditionnels. Il est donc très précieux – en tant qu’industriels spécialisés dans l’exploitation des ouvrages hydroélectriques – de pouvoir accompagner une école sur ce chemin. Car c’est cette dernière qui va ensuite définir les cursus de formation dont nous avons et auront besoins.

Pensez-vous atteindre vos objectifs en 5 ans de partenariat?

Amédée Murisier: Ce projet sur 5 ans s’inscrit dans un ensemble. Plus particulièrement, il s’agit pour nous de la 1re phase d’un partenariat durable pour une hydroélectricité moderne et innovante. L’Hydro Alps Lab sera confronté à des années avec plus ou moins de projets, il lui faudra aller chercher des financements externes. Sur cette base, nous pensons qu’il faut envisager un cycle de 5 ans pour pouvoir juger de son succès. À terme, l’ambition est clairement le développement d’un centre de compétences en hydroélectricité à l’écho national, voire international, de développer de très bons étudiants à Sion, et d’y faire venir des professeurs ou post-doctorants.

Stéphane Maret: Il fallait donner une impulsion grâce aux acteurs principaux de la force hydraulique en Valais. Dans le futur, il est également prévu d’ouvrir cette «Dream Team» à d’autres acteurs pour que l’ensemble de la force hydraulique en ressorte gagnante. Dans une 2e phase, il sera certainement question pour l’Hydro Alps Lab de développer des technologies dans la perspective de multifonctionnalité de l’eau. Et dans un futur encore plus lointain, le laboratoire entamera peut-être même des réflexions autour du couplage hydroélectricité-photovoltaïque. Après tout, on vient en Valais pour ses montagnes et son ensoleillement…
 

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