Énergie solaire grâce au financement citoyen

La ville de Delémont, à maintes reprises consacrée par le label « Cité de l’énergie », s’est fixé des objectifs ambitieux en matière de stratégie énergétique. Pour les atteindre, elle a notamment décidé de miser sur le développement des installations photovoltaïques (PV) grâce au financement citoyen. Retour sur une « Success Story ».
06.05.2021

Labellisée « Cité de l’énergie » pour la première fois en 1999, la ville de Delémont s’applique depuis des années à améliorer ses objectifs énergétiques. Cet engagement lui a d’ailleurs valu à plusieurs reprises le label « Gold », notamment en 2020 où elle a réalisé plus de 80 % des objectifs potentiels, la plaçant dans le classement des 20 premières cités de l’énergie.

Concrètement, plusieurs départements communaux dont les Services industriels de Delémont (SID) qui sont responsables de ce label et, plus généralement, de la politique énergétique de la ville. C’est donc sur cette base que se fonde la stratégie d’entreprise des SID, elle-même orientée sur la Stratégie énergétique 2050 de la Confédération.

Toujours dans le cadre de ce label « Cité de l’énergie », une motion a été déposée au Conseil de ville en 2010, demandant d’effectuer un inventaire photovoltaïque de la ville (les actuels outils informatiques de la Confédération n’étant pas encore disponibles à l’époque). Estimant qu’il était dommage de s’arrêter à un simple inventaire, les SID ont décidé de faire un pas de plus.

Michel Hirtzlin explique la stratégie énergétique des SID

Étude sur le potentiel du PV à Delémont

Tout d’abord, il était question d’identifier les installations les plus intéressantes permettant le développement de centrales PV. En collaboration avec l’École d’ingénieurs d’Yverdon et un bureau d’ingénieurs privé, les SID se sont servis d’une grille d’évaluation multicritères, prenant non seulement en compte l’aspect énergétique, mais également la question de l’intégration de cette énergie dans le réseau notamment. Après avoir identifié les projets phares, il a fallu contacter les propriétaires pour sonder leur intérêt à participer au développement d’installations PV.

Aux termes de 2 ans d’étude, les résultats ont confirmé notamment et sans surprise le fait que les installations les plus intéressantes sont celles qui sont le mieux servies en réseau électrique. En effet, ayant elles-mêmes une forte consommation d’énergie, elles ont déjà leur station transformatrice et sont alimentées en moyenne tension, ce qui ne pose donc pas de problème en matière de réinjection de ces puissances dans le réseau. Les 20 premières installations potentielles identifiées se situaient sur des usines, des centres sportifs (comme la patinoire), des écoles, etc. Elles répondaient toutes favorablement aux critères rédhibitoires de l’étanchéité et de la statique des toits. Ayant entendu parler du « modèle citoyen » à Yverdon, la ville de Delémont a décidé de se lancer.

Sur le toit de la patinoire de Delémont, première centrale PV financée grâce au prêt citoyen

Prêt citoyen, comment ça marche ?

L’idée fondamentale du prêt citoyen se résume comme suit : intéresser les gens aux énergies renouvelables par un autre biais que la consommation. À l’époque où cette solution a été envisagée (2010–2013), l’énergie PV était relativement chère du fait qu’il n’y avait pas encore de modèle d’autoconsommation et à cause des prix des installations elles-mêmes. Donc, le seul moyen d’intéresser les citoyens aux énergies renouvelables était de les intéresser au financement des centrales.

Raison pour laquelle le premier prêt citoyen à avoir été lancé concernait le projet d’installation d’une centrale PV sur le toit de la patinoire. Il s’agissait, en effet d’un bâtiment public ne nécessitant pas de négociation fondamentale avec le propriétaire (à savoir les communes). En résumé : le contrat de prêt citoyen assure un taux garanti, généralement fixé à 2,25 % (mais adaptable par installation), sur une durée de 25 ans ; le citoyen, qui a investi entre CHF  500 et CHF  100 000, se voit rembourser annuellement le 1/25e de son investissement, ainsi que les intérêts.

En 2013, il fallait compter CHF  2500 par kW de puissance nominale (c.-à-d. l’installation clef en mains, y compris les quelques aménagements réseau). Le financement total à trouver se montait à CHF  1,3 millions. Une fois lancée, l’opération a immédiatement rencontré un grand succès et les SID ont été inondés par les demandes de participation. Les prêts citoyens ont permis de trouver environ 67 % du capital.

Les charges financières (intérêts et amortissement) représentant environ 90 % du prix de revient du PV, il est donc essentiel de les figer pour stabiliser le prix de revient du kWh. Cela permettait de proposer un prix quasiment stable sur la durée de vie des panneaux solaires. C’est ce calcul qui a initié le modèle de 25 ans de durée de contrat. 

Le taux d’intérêt à 2,25 % représente davantage l’aspect plus commercial. Il fallait que ce taux d’intérêt corresponde à une certaine plus-value par mois pour le client final qui consommerait cette électricité produite sur les toits. La réflexion était la suivante : pour un ménage moyen, il ne fallait pas que cette solution coûte plus de CHF  5/mois par rapport à un autre produit standard déjà existant (100 % renouvelable, de provenance hydraulique suisse).

Les avantages du prêt citoyen selon Michel Hirtzlin

Des contextes différents, au départ et aujourd’hui

En 2013, le projet de la patinoire s’inscrivait dans un processus de réinjection totale de l’énergie dans le réseau, la base légale n’existant pas encore pour faire de l’autoconsommation. Cela signifie qu’il fallait absolument commercialiser cette énergie produite, à savoir environ 450 MWh par an. Selon Michel Hirtzlin, chef des SID, il était indispensable de pouvoir garantir le développement d’une centrale PV, dont le financement avait été garanti au moyen du prêt citoyen et dont la totalité de l’énergie produite avait pu être commercialisée. C’est seulement à ces conditions que les SID s’autorisaient à passer au projet suivant d’installation (entreprises, écoles) pour une question de gestion des risques.

C’est également dans ce souci de sécurité financière que tous les calculs sont faits sans compter sur la RPC, au risque d’être surpris en bien au cas où les SID touchent cette dernière. Dans ce cas, le prix du kWh est diminué au profit des consommateurs. Le changement de législation en janvier 2018 a donné un véritable coup d’accélérateur, permettant aux SID de proposer l’autoconsommation de la production directement aux propriétaires des bâtiments accueillant leurs centrales photovoltaïques, au lieu de devoir chercher à commercialiser toute cette énergie à des clients tiers. Le volume d’énergie produit peut être facilement autoconsommé par les clients vu leur consommation totale généralement (bien) plus élevée.

En parallèle, une campagne de promotion, volontairement de type opting-in, a permis de fidéliser 12 % des clients tous segments confondus (ménages, industries, etc.), qui a changé de produits de façon volontaire. Un tel pourcentage est suffisamment rare pour le relever. Le mérite revient certainement à la campagne, qui avait pour but d’intéresser et d’associer les gens aux projets. Ils ne se considèrent pas comme des clients seulement destinés à payer, mais comme des acteurs qui participent à un projet en développement.

Sur le toit de l’entreprise Willemin-Macodel SA, la plus grande centrale PV de Delémont.

De l’intérêt d’installer une centrale sur son toit

Le prix de revient du kWh avec l’autoconsommation a permis de proposer aux clients une énergie au même prix, voire moins chère, que celle provenant du réseau (y compris, pour les « clients moyenne tension »). Cela a permis de convaincre les propriétaires privés parmi les 20 bâtiments identifiés dans l’étude préalable, pour qu’ils construisent des centrales PV. Avec l’expérience acquise et les nouvelles bases légales, il était dès lors possible de lancer des projets selon le modèle de prêt citoyen. Pour les SID, cela représentait des masses d’énergies automatiquement commercialisées par l’autoconsommation de l’entreprise en question.

Willemin-Macodel SA est l’un des 20  projets retenus parmi des bâtiments industriels, administratifs, publics, etc. Il s’agit même de la plus grande centrale PV (750  kW) construite à Delémont, qui permet d’alimenter environ 200 ménages. Olivier Haegeli, co-directeur général, explique que ce projet s’est fait dans le cadre de l’agrandissement de l’entreprise. Cette dernière produit des machines qui – pour répondre à ce qu’on attend d’elles – sont de grosses consommatrices d’énergie. La décision de se lancer dans l’aventure s’est donc faite naturellement quand les solutions techniques l’ont permis. Il s’agit d’un juste retour des choses, l’entreprise ayant une tendance générale à être attentive à l’environnement et à la production de CO2.

Et Olivier Haegeli de préciser, qu’à ses yeux, « il n’y a pas de raison de ne pas participer, sauf si l’on ne possède pas la surface à disposition pour l’installation des panneaux photovoltaïques ». Tout est fait pour faciliter la tâche et rendre l’opération intéressante. Concrètement, les SID sont les investisseurs et cherchent le financement au moyen du prêt citoyen ; ils s’occupent ensuite de construire (et d’entretenir) la centrale PV sur le toit mis à disposition par le client, client à qui l’énergie produite est vendue de façon préférentielle. Quant aux excédents d’énergie, ils sont injectés dans le réseau.

Pour une entreprise telle que Willemin-Macodel SA, les avantages sont multiples. Tout d’abord, « la partie autoconsommation fera l’objet d’un prix stable, hors des taxes qui viendraient grever le prix du kW à l’avenir ». De plus, le fait d’avoir elle-même contribué au prêt citoyen a permis de réduire encore un peu plus le prix du kWh (en prêtant de l’argent et en bénéficiant du remboursement au taux prédéterminé du prêt citoyen). En termes d’image également, la participation à ce projet est une claire plus-value aux yeux de certains de leurs clients – en Suisse comme à l’étranger – qui tiennent compte de l’élément écologique dans leur cahier des charges. C’est aujourd’hui un argument que l’entreprise utilise dans ses discussions avec les clients.

Un bilan très positif qui présage de beaux projets

A ce jour, les SID comptent déjà près de 25 000  m2 d’installations photovoltaïques, réalisée grâce au modèle de prêt citoyen. Ces réalisations sont diverses et touchent autant des installations photovoltaïques sur des bâtiments publics, parapublics (patinoires, écoles, lieux de cultes, immeubles mixtes) et privés (industries, cinémas, presse, habitations) que des installations basées sur d’autres sources d’énergie électrique comme une centrale hydroélectrique.

Concernant le taux de financement participatif de ces projets, il est proche des 100 % pour les trois dernières années (En moyenne, depuis 2013, il se situe à plus du 60 %). Les gens s’accordent à dire que la ville de Delémont et ses citoyens ont développé une prise de conscience collective qui s’est construite sur les années, que ce soit au niveau individuel, comme au niveau des organisations économiques ou du patronat.

La ville de Delémont, et les SID en particulier, sont « victimes de leur succès ». En effet, des citoyens sont encore sur liste d’attente pour pouvoir contribuer à un prêt citoyen. La motivation et l’intérêt de la population sont bien là. En effet, le niveau d’investissement par habitant en faveur du photovoltaïque, pour une petite ville telle que Delémont, se monte à CHF  750. Sans faire de comparaison hasardeuse, un tel niveau d’investissement dans une grande agglomération comme Zürich représenterait environ 1  milliard.

Des perspectives à court, moyen et long terme

En termes de perspectives, c’est « sans limites » selon Michel Hirtzlin. En effet, pour les prochains projets comme le Théâtre du Jura, il ne s’agira pas seulement de photovoltaïque, mais également de chauffage. Les SID se lancent donc dans le « contracting énergétique » complet. Ils vont ainsi financer un chauffage central à pellets. La seule chose devant encore être réglée : la durée de vie des équipements. Cette dernière est différente en fonction des installations, et il en va de même pour le taux d’intérêt (qui devrait se situer entre 1,5 et 2 %). Les bornes de recharge et la gestion de consommation multifluide, toutes développées avec leur partenaire Inera SA, seront également intégrées dans ce concept participatif.

À moyen terme, avec un horizon de 3 à 5 ans, il est prévu de construire un écoquartier comprenant 340 appartements répartis sur 9 immeubles. Dans ce projet, les SID vont faire le contracting énergétique global. Il y aura donc : photovoltaïque, batteries de stockage, bornes de recharge, chauffage mixte entre panneaux solaires thermiques et pompes à chaleur, ainsi qu’un système de gestion du comptage multifluides en communauté d’autoconsommation.

Et à long terme, tout investissement dans le domaine énergétique renouvelable se fera sans aucun doute au moyen de prêts citoyens. Ceci, bien entendu, tant que ces derniers seront intéressés à prêter et qu’il y aura une recherche partenariale de la part des entreprises. Pour l’instant, le prix du kWh (que ce soit thermique ou électrique) reste compétitif et les gens continuent à s’intéresser toujours davantage aux énergies renouvelables et aux questions de transition énergétique.
Si un projet éolien devait voir le jour, ce serait avec un prêt citoyen. Seules des conditions-cadres contraires seraient susceptibles d’empêcher un tel développement. Il en est de même pour un projet de chauffage à distance (On parle d’un horizon à 2030). Les perspectives sont donc nombreuses et la ville de Delémont, avec ses SID, a bien l’intention de poursuivre sur sa lancée.