Indemnisation de la flexibilité pour les producteurs d’énergie photovoltaïque en cas de comportement au service du réseau

27.03.2024
Le développement du photovoltaïque est en forte croissance: en 2023, celui-ci a atteint 1,5 gigawatt, soit une augmentation de près de 40%. Cette évolution met les gestionnaires de réseau de distribution à rude épreuve, les capacités nécessaires ne pouvant plus être assurées rapidement partout. Des solutions s’imposent: avec son produit «TOP-40», Elektra mise sur des incitations au service du réseau.
Auteur externe
Dr. Markus Flatt
Partenaire, EVU Partners
Auteur externe
Jan Giger
Responsable réseau, Coopérative Elektra
Disclaimer
«PerspectivE», intégrée au site Internet de l’AES, est une plate-forme sur laquelle l’Association offre à la branche, à la science, à la politique et à l’économie la possibilité de publier gratuitement des articles généraux et spécialisés pertinents pour la branche. Dans ces articles, les auteurs et les autrices externes expriment leur opinion personnelle. Celle-ci ne reflète pas forcément les idées ni la position de l’AES.

Dans la zone de desserte du fournisseur d’énergie régional Elektra, un raccordement au réseau sur six dispose déjà de sa propre installation photovoltaïque. En effet, ce sont plus de 1500 installations photovoltaïques d’une puissance totale supérieure à 38 MWc qui sont raccordées au réseau électrique. Ces installations produisent plus de 20% de la consommation totale d’électricité dans la zone de desserte. La puissance photovoltaïque totale est même supérieure au pic de consommation annuel.

Bien que ces chiffres semblent impressionnants, nous sommes face à un défi de taille. En effet, une extension du réseau à des capacités de pointe pourrait rendre ce dernier inefficace. Dans les faits, le réseau ne serait pleinement sollicité que quelques jours par an, car les installations photovoltaïques produisent leur puissance maximale seulement quelques jours et heures chaque année, mais avec une simultanéité quasi totale. Sur la base de ce constat, l’objectif devrait donc consister à limiter les installations photovoltaïques en cas de surcharge du réseau électrique. À cette fin, Elektra a analysé de nombreuses installations sur plusieurs années. Il ressort de cette étude qu’une limitation de l’injection d’énergie photovoltaïque à 60% n’a qu’un faible impact sur la production réelle d’électricité. La réduction de cette production dans la zone de desserte d’Elektra est en moyenne inférieure à 6%.

Effet des limitations d’injection sur les rendements énergétiques (source: Elektra)

Dans ce contexte, les responsables d’Elektra ont décidé de proposer à leurs producteurs une solution orientée clientèle pour limiter les puissances d’injection.

Catégories et cadre juridique

L’utilisation de la «flexibilité» dans le réseau de distribution – tant au niveau de la consommation que de la production – devrait être un élément clé de la décentralisation efficace et réalisable dans le temps de notre système électrique.[1] D’une part, pour éviter des coûts de réseau excessifs, conformément aux dispositions légales [2], d’autre part, car l’extension classique du réseau sera impossible dans un délai raisonnable dans un contexte de pénurie de composants et de main-d’œuvre qualifiée. Le législateur a également reconnu l’importance de l’utilisation intelligente de la flexibilité et entend ancrer l’accès et l’utilisation de cette dernière au niveau législatif par le biais de la Loi pour l’éléctricité (Mantelerlass sur l’énergie).[3] La nouvelle réglementation vise à souligner l’importance d’une intégration plus efficace des installations de production décentralisées dans le système et d’un renforcement de l’orientation clientèle.

Dans ce cadre, la flexibilité doit se voir attribuer une valeur. Les consommateurs et les producteurs qui peuvent organiser respectivement leur consommation ou leur production au service du réseau, ou de manière «flexible», devraient être indemnisés. Du point de vue des gestionnaires de réseau de distribution, cela est important dans la mesure où les détenteurs de la flexibilité peuvent également l’utiliser à d’autres fins, par exemple dans le but d’une optimisation de la consommation propre, d’une offre d’énergie de réglage à Swissgrid ou à des fins marchandes Le réseau de distribution entre donc, dans une certaine mesure, en concurrence pour la flexibilité de plus en plus précieuse de sa clientèle finale.

Joss & Bucher présentent dans leur document des exemples de propositions de solutions [4]:

  • Appliquer un tarif d’injection supérieur de 20% pour l’électricité solaire ou pour l’électricité fournie au réseau par l’accumulateur si l’on exploite ce dernier au service du réseau.
  • Appliquer un tarif de rachat supérieur de 20% si l’on maintient un rapport élevé entre l’électricité solaire produite (énergie) et la puissance de pointe injectée (puissance; par exemple au-dessus de 2000 kWh/kW).
  • Appliquer un tarif de recharge plus avantageux si l’on branche sa voiture électrique à une borne de recharge commandée par le gestionnaire de réseau. Si une recharge rapide complète est privilégiée, un tarif plus élevé est appliqué.

De telles approches sont encore rares aujourd’hui dans la pratique des gestionnaires de réseau de distribution. Il existe plusieurs raisons à cela. D’une part, les systèmes intelligents de mesure et de commande font encore souvent défaut. Le déploiement des smart meters progresse, mais les systèmes de réglage et de commande intelligents manquent en de nombreux endroits en raison des normes nécessaires en matière d’interface entre les gestionnaires de réseau et l’installation du bâtiment, ainsi que des coûts comparativement élevés. D’autre part, il n’y avait jusqu’à présent pas de pratique régulatoire soutenant activement les indemnités de flexibilité ou les incitations tarifaires. La régulation actuelle est basée sur une approche stricte «cost+» selon laquelle seuls les coûts effectivement occasionnés et vérifiables dans le réseau peuvent être imputés. Or, par nature, les indemnités de flexibilité ne sont initialement associées à aucuns frais. L’utilisation de la flexibilité doit justement permettre d’éviter des coûts supplémentaires. Par essence, une autorité de surveillance a plutôt du mal à évaluer ces coûts d’opportunité.[5] Il faut espérer qu’avec la nouvelle base légale concernant les mesures de flexibilité (art. 17c LApEl) et leur imputabilité (art. 15, al. 2, let. d LApEl), la pratique réglementaire évoluera également sur ce point.

Incitations à opter pour une consommation propre au service du réseau d’installations photovoltaïques, de véhicules électriques et d’accumulateurs

Après une réflexion et une analyse minutieuses, Elektra a sciemment opté pour des incitations et non pour une réglementation s’appuyant sur des systèmes de commande et de réglage intelligents ou des prescriptions des distributeurs d’électricité supplémentaires. Ce choix est le résultat d’une évaluation complète des défis techniques et administratifs induits par de tels systèmes.

Aujourd’hui, il existe déjà une forte incitation en faveur de la consommation propre. Celle-ci va encore fortement augmenter au cours des prochaines années du fait des regroupements virtuels dans le cadre de la consommation propre (RCP) et des communautés énergétiques locales (CEL). Jusqu’à présent, la clientèle n’est cependant pas incitée à exploiter la consommation propre d’installations photovoltaïques, de véhicules électriques ou d’accumulateurs à batterie au service du réseau. Les installations photovoltaïques sont en principe conçues pour une sollicitation maximale, ce qui nécessite une extension correspondante du réseau. Cette approche est non seulement coûteuse mais elle ralentit également le processus d’approbation pour les nouvelles installations photovoltaïques. Il est donc important que ces dernières soient exploitées de manière à soutenir le réseau et à garantir la stabilité et l’efficacité de l’approvisionnement en électricité. À cette fin, il existe deux possibilités: premièrement les exigences et prescriptions correspondantes, deuxièmement les incitations tarifaires appropriées.

Avec le produit «TOP-40», Elektra offre aux exploitants d’installations photovoltaïques la possibilité de contribuer activement à la stabilité du réseau en s’engageant à ne jamais injecter dans ce dernier plus de 60% de la puissance maximale installée (CC) de leur installation photovoltaïque. Par an, cela représente environ 6% d’électricité en moins injectée dans le réseau. En contrepartie, les exploitants d’installations photovoltaïques perçoivent une rémunération supérieure de 8% par rapport au tarif de remboursement d’Elektra pour l’électricité injectée dans le réseau. Peu importe que le producteur cède son électricité à Elektra conformément à l’art. 15 LEne ou qu’il la vende à un tiers (conforme à la séparation des activités), cette solution permet au producteur de compenser la perte due à la légère réduction de la part d’injection. De plus, l’électricité non injectée dans le réseau peut faire l’objet d’une consommation propre, par exemple pour faire fonctionner un chauffage ou pour charger des accumulateurs à batterie et des véhicules électriques.

Puissance maximale d’une installation photovoltaïque par rapport à la quantité d’électricité produite en un an (source: Elektra, produit «TOP-40»)

La technique nécessaire pour respecter la limite d’injection, à savoir maximum 60% de la puissance CC installée (kWc), est intégrée directement sur l’installation PV par l’installateur ou au moment de la planification. Le respect de la limite d’injection incombe à l’exploitant de l’installation photovoltaïque. En principe, deux techniques sont possibles. Un réglage dynamique de l’injection au point de raccordement s’avère être une solution pertinente. Pour ce faire, un système intelligent pilote la consommation et la production d’énergie de manière à ce que, dans le cas d’Elektra, le pourcentage «TOP-40» de la puissance de l’installation photovoltaïque soit d’abord utilisé dans le cadre d’une consommation propre et ne soit bloqué qu’en cas de dépassement de la limite fixée. De nombreux exploitants d’installations photovoltaïques ont déjà intégré un tel système de gestion de l’énergie et peuvent le configurer en conséquence. L’autre option consiste à configurer les onduleurs de manière à ce qu’ils limitent la puissance de refoulement de manière fixe à 60% de la puissance CC installée. Mais dans ce cas il n’y a pas de production d’énergie et par conséquent pas de possibilité de l’utiliser à des fins de consommation propre.

Le gestionnaire de réseau de distribution peut surveiller en permanence la puissance maximale autorisée. Le smart meter – compteur intelligent – joue un rôle décisif dans ce cadre. Il enregistre tous les quarts d’heure la puissance au point de raccordement. Sur la base de ce profil de charge, une surveillance automatique est mise en place dans le système de gestion des données énergétiques, un élément essentiel de l’infrastructure énergétique moderne. Il permet de gérer et de contrôler efficacement la puissance maximale autorisée sans installation supplémentaire sur site.

Des avantages collectifs potentiellement importants

L’exemple décrit ici montre qu’une offre de flexibilité d’un gestionnaire de réseau de distribution à ses producteurs peut se révéler prometteuse. La demande concrète auprès d’Elektra indiquera si les clients sont du même avis. C’est justement là que réside le défi de l’utilisation de la flexibilité. Si le bénéfice individuel est limité, l’avantage collectif en est d’autant plus grand. En parvenant à influencer le comportement de la clientèle réseau par le biais d’incitations, il est possible de faire l’impasse sur des systèmes de réglage nettement plus coûteux ou sur des limitations rigides. L’évolution des rémunérations pour l’utilisation du réseau proposées aux consommateurs devrait également y contribuer. Le fait que le Parlement définisse désormais, dans le cadre de la loi pour l’électricité, les régulations comme des «utilisations garanties» du gestionnaire de réseau peut certes se révéler utile en cas de pénurie concrète au niveau du réseau, mais pour qu’il y ait un impact sur le plus grand nombre possible, les auteurs estiment qu’il faut privilégier un modèle avec des incitations tarifaires. Ne serait-ce que du point de vue de la communication.

Références

  1. Voir aussi Bucher & Joss (2023) Raccordement au réseau de 50 gigawatts de photovoltaïque en Suisse – Document de discussion sweet-edge; p. 9.
  2. Voir art. 8, al. 1 LApEl: Les gestionnaires de réseau doivent pourvoir à un réseau sûr, performant et efficace.
  3. Voir la Loi fédérale relative à un approvisionnement en électricité sûr reposant sur des énergies renouvelables, art. 17c LApEl
  4. Bucher & Joss (2023) Raccordement au réseau de 50 gigawatts de photovoltaïque en Suisse – Document de discussion sweet-edge.
  5. Voir par exemple la pratique concernant l’utilisation des accumulateurs à batterie (stockage par batterie); ElCom (2023) Questions et réponses sur la stratégie énergétique 2050, ch. 62.

PerspectivE – La branche a la parole

«PerspectivE», intégrée au site Internet de l’AES, est une plate-forme sur laquelle l’Association offre à la branche, à la science, à la politique et à l’économie la possibilité de publier gratuitement des articles généraux et spécialisés pertinents pour la branche.

Dans ces articles, les auteurs et les autrices expriment leur opinion personnelle. Celle-ci ne reflète pas forcément les idées ni la position de l’AES. C’est l’AES qui décide si, en définitive, elle publiera ou non un article proposé. Les articles de relations publiques ne sont pas acceptés.

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