Combien nous coûtera une Suisse neutre en CO2 ?

Différentes voies peuvent être empruntées pour parvenir à un approvisionnement énergétique neutre pour le climat en Suisse. Mais lesquelles sont réalisables ? Quel stockage d'énergie est nécessaire - et combien cela coûte-t-il ? Andreas Züttel, directeur du centre commun de recherche énergétique de l'Empa et de l'EPFL à Sion, a calculé la réponse.
17.02.2022

Il s'agit d'un communiqué de presse de l'Empa, qui ne reflète pas forcément l'opinion de l'AES.

 

D'ici 2050, la Suisse doit atteindre la neutralité climatique, selon une décision du Conseil fédéral du mois d’août 2019, adoptée en tant que stratégie climatique à long terme par le Conseil fédéral en janvier 2021. Mais qu'est-ce que cela signifie dans la pratique ? Par quel moyen ces objectifs peuvent-ils être atteints, que faut-il pour cela et combien cela coûte-t-il ? Andreas Züttel, directeur du LMER à Sion, un centre de recherche commun de l'Empa et de l'EPFL, a fait un calcul détaillé en collaboration avec l'ancien directeur de l'Empa, Louis Schlapbach, et l'a publié dans la revue spécialisée "Frontiers in Energy Research".

Électrique, hydrogène ou synfuels ?

Les chercheurs ont calculé trois scénarios différents et les ont comparés aux coûts actuels de l'énergie, qui s'élèvent à environ 3000 francs par habitant et par an. Le premier défi consiste à remplacer les centrales nucléaires suisses, qui devront être arrêtées d'ici 2050. Rien que pour cela, il faut une surface de toit solaire de 16 mètres carrés par habitant de la Suisse. Pour chaque habitant, il faudrait une batterie de stockage de 9 kWh pour stocker l'électricité récoltée pendant la journée jusqu'à la nuit. En outre, il faudrait quatre grandes centrales de pompage-turbinage de la taille de la centrale de la Grande Dixence pour stocker l'électricité estivale jusqu'en hiver. Cette hypothèse de base s'applique à tous les scénarios.

Un nouveau barrage chaque année

Le plus efficace serait d'électrifier l'ensemble de l'approvisionnement en énergie, explique le Professeur Züttel. Si toutes les voitures et tous les camions roulaient à l'électricité et que tous les bâtiments étaient chauffés par des pompes à chaleur, la production d'électricité nécessaire augmenterait à peine de 1000 watts par personne - en plus de la consommation d'énergie électrique actuelle. Pour produire cette quantité d'énergie, la Suisse aurait besoin de 48 mètres carrés de surface solaire par habitant (trois fois la surface de toit disponible en Suisse), d'une batterie de stockage de 26 kWh par habitant et de 13 centrales de pompage-turbinage supplémentaires de 1500 GWh, chacune pour le stockage été-hiver. Le chercheur en énergie Züttel a fait le calcul suivant : "Si nous commencions tout de suite, nous devrions construire chaque année jusqu'en 2035 un nouveau barrage de la taille de celui de la Grande Dixence. Mais nous n'avons tout simplement pas assez de vallées appropriées dans le pays pour un tel ordre de grandeur".

25 tubes du Gothard remplis d'hydrogène

La deuxième possibilité serait une économie d'hydrogène. Mais l'hydrogène neutre pour le climat est produit à partir d'électricité solaire et une partie de l'énergie est perdue lors de la transformation. Pour le scénario numéro 2, il faudrait 116 mètres carrés de surface solaire par habitant - et une batterie de stockage jour-nuit de 57 kWh par habitant. L'hydrogène pourrait alors alimenter les voitures, les camions et les bus et chauffer tous les bâtiments avec des brûleurs catalytiques. Des barrages supplémentaires ne seraient pas nécessaires pour cette variante, mais l'hydrogène produite en été devrait être stockée dans des cavernes souterraines à une pression de 200 bars. Züttel affirme : "Nous aurions besoin d'un volume de 57 millions de mètres cubes - soit environ 25 fois le tunnel de base du Saint-Gothard". Les coûts énergétiques de cette variante augmenteraient d'environ 50 pourcents, soit de 3000 francs par habitant aujourd'hui à environ 4400 francs par habitant et par an.

12 fois la surface des toits de la Suisse

La troisième variante consiste à approvisionner tout le pays en carburants synthétiques (synfuels) à partir d'électricité verte. Les propriétaires de maisons pourraient continuer à faire fonctionner leurs chauffages au mazout et au gaz ; les propriétaires de voitures continueraient à faire le plein de diesel, d'essence ou de gaz. Même le kérosène pour les avions de tourisme est inclus dans ce calcul (dans les scénarios 1 et 2, 33 mètres carrés de surface solaire supplémentaires seraient nécessaires pour le carburant des avions !)

De nouveaux barrages ou des cavernes d'hydrogène souterraines ne seraient pas nécessaires ici. Mais pour ce scénario, il faudrait couvrir 4,5 % du territoire suisse de cellules solaires, soit 12 fois plus que la surface de toit disponible aujourd'hui. Une batterie de stockage de 109 kWh par personne serait en outre nécessaire pour stocker l'énorme quantité d'électricité solaire à midi et la rendre disponible pour l'industrie chimique, qui en produirait d'abord de l'hydrogène puis des synfuels. Les coûts de l'énergie feraient plus que tripler, passant de 3000 francs par habitant aujourd'hui à 9600 francs par habitant et par an.

Pas d'action nationale isolée possible

Züttel fait remarquer que n'importe quel prix de l'énergie n'est pas économiquement supportable. "Depuis le début de l'ère industrielle, il y a plus de 200 ans, la performance économique de chaque pays est liée à la disponibilité de l'énergie. Mais pour la croissance, l'énergie primaire ne devrait pas coûter plus de 40 centimes par kWh, sinon l'industrie travaillerait à perte", explique le chercheur. "Nous devons donc abandonner l'idée de pouvoir couvrir tous nos besoins énergétiques avec de l'énergie renouvelable produite dans le pays".

Züttel recommande d'adopter une vision globale : Selon lui, dans des régions comme le Sahara ou l'Australie, le rayonnement solaire est si élevé que les synfuels peuvent être produits à un tiers de leur coût. "Nous ne pourrons pas nous passer d'une logistique énergétique globale à l'avenir". (empa)